Le cimetière d’Ardelay, aux Herbiers, conserve quelques tombes anciennes intéressant l’histoire de cette commune vendéenne, en particulier celle d’Alexandre Bourbon dont la vie fut bouleversée en 1796.
Les tombes de la famille Bourbon au cimetière d'Ardelay. Alexandre Bourbon est cité au centre, en haut.
La plaque funéraire d’Alexandre-Grégoire Bourbon (1768-1804) fait l’éloge de cet Ardelaysien : « Il fut généreux. Il a donné aux pauvres. Ses actes justes subsistent toujours ». On s’imagine un notable vendéen lié par mariage à la famille de Hillerin et à son château voisin du Boistissandeau. La réalité diffère quelque peu…
Les plaques funéraires d'Alexandre Bourbon, de sa femme Gabrielle de Hillerin, et de leur gendre Pierre-Louis Bourbon
Originaire de Bourgogne, Alexandre Bourbon n’est arrivé en Vendée qu’à la fin de l’année 1795, comme capitaine dans l’armée républicaine. Il épousa Gabrielle de Hillerin l’année suivante, sauva le domaine et devint une personnalitée respectée… sauf par le camp royaliste de sa belle-famille. Celle-ci ne fut d’ailleurs sûrement pas étrangère à une rumeur odieuse qui prétendait qu’Alexandre Bourbon avait commandité le massacre des trois dames de Hillerin au Boistissandeau, le 31 janvier 1794.
Cette calomnie serait restée cantonnée au pays si un célèbre historien de la Révolution, G. Lenotre, nom de plume de Théodore Gosselin, ne l’avait reprise à son compte dans un article sur les Colonnes infernales publié dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1924 (1).
« Un officier de nom semblable à l’un des plus illustres de l’histoire… »
L’article en question fait la part belle à la colonne du général Grignon et de son second, Lachenay, pour lequel G. Lenotre a d’abord puisé dans le récit glaçant de Barrion (2). Cette dernière source était sûre ; la suite l’est nettement moins. On y lit en effet la colonne de gauche – celle de Lachenay – était « conduite par le général Amey », qui pourtant se trouvait à ce même moment aux Herbiers ; qu’elle brûla « toutes les métairies de la basse paroisse de Saint-Michel-Mont-Mercure » et qu’elle fusilla dans la cour du château de Saint-Paul-en-Pareds un nombre considérable de femmes, d’enfants et de vieillards, ces exactions étant en réalité le fait de la colonne de Grignon.
G. Lenotre prétend que ce massacre de Saint-Paul-en-Pareds aurait été commis par un détachement de soldats guidé par un habitant des Herbiers et commandé par « un officier subalterne de nom semblable, par la consonance seulement, à l’un des plus illustres de l’histoire » (3). On peut se demander pourquoi il s’est gardé de prononcer ce nom de Bourbon.
L’auteur poursuit en menant cette troupe sanguinaire vers le château du Boistissandeau, où elle sabra Madame de Hillerin, âgée de 83 ans, et fusilla deux de ses filles, Henriette et Agathe. « Les tueurs épargnèrent seule la jeune Gabrielle dont les événements avaient troublé la raison… Il se trouvait là quelqu’un qui convoitait la fille inconsciente, héritière, par la mort de tous les siens, de la seigneuriale demeure… » Là encore, G. Lenotre glisse des sous-entendus propres à accentuer le drame, sans tenir compte du fait qu’Alexandre Bourbon ne se trouvait pas en Vendée en 1794, que son épouse n’était pas la seule héritière de la propriété, et qu’il dut même racheter une bonne partie du domaine, confisqué comme bien d’émigrés, sur ses deniers personnels.
Les plaques commémorant le massacre des dames de Hillerin, le 31 janvier 1794, dans la cour du château du Boistissandeau
La famille de Hillerin sous la Révolution
Faisons un peu de généalogie… Au début de la Révolution, le Boistissandeau appartenait à Louis-François de Hillerin (1738-1799). Il était le fils aîné de Jean-Baptiste-Laurent de Hillerin, un passionné de sciences qui avait reçu le savant Réaumur dans son château (4), et de Marie-Agathe Bouret de Beuron, la vénérable octogénaire qui fut sabrée par des hussards le 31 janvier 1794. Il eut trois enfants d’un premier mariage en 1773 avec Marie-Charlotte-Élisabeth de Villeneuve du Cazeau (1740-1777) :
- Charles-Bazile (1774-1842),
- Marie-Louise-Hortense (1775-1851)
- et Marie-Anne-Gabrielle (1776-1842), la Gabrielle survivante du massacre, future épouse d’Alexandre Bourbon.
D’un second mariage en 1789 avec Marie-Adélaïde Duchesne de Denant, qui sera noyée en Loire au début de l’année 1794 (5), il eut un autre fils, Charles-Hyppolite, né en 1790 et mort de misère en 1793 pendant la guerre civile.
Louis-François de Hillerin émigra en 1792 à destination de Jersey. D’Angleterre, il embarqua pour l’expédition de Quiberon à l’été 1795, fut capturé, mais parvint à s’échapper pour retourner à Jersey où il périt dans d’obscures conditions quatre ans plus tard.
Son fils Bazile l’avait suivi en émigration. Capturé lui aussi à Quiberon, il se fit passer pour un républicain recruté de force, ce qui lui sauva la vie. On l’incorpora alors dans un régiment de dragons envoyé contre les Chouans en Bretagne. Bazile faussa compagnie aux Bleus et parvint à rentrer en Vendée. Il rejoignit ses sœurs au Boistissandeau à la fin août 1795, avant d’aller se cacher au château du Cazeau au May-sur-Èvre, propriété de sa famille maternelle, jusqu’à ce qu’il obtienne sa radiation de la liste des émigrés par une déclaration attestant qu’il résidait là depuis le 9 mai 1792, déclaration soutenue par son beau-frère Alexandre.
Généalogie simplifiée de la famille de Hillerin du Boistissandeau sous la Révolution. Les victimes du massacre du 31 janvier 1794 sont entourées en rouge.
Qui restait au Boistissandeau en 1792 ? Tout d’abord la mère de Louis-François, que son âge et sa paralysie devaient faire respecter, du moins le pensait-elle. Ses deux filles, Antoinette-Henriette (56 ans) et Marie-Agathe (53 ans), prenaient soin d’elle. Ce sont les trois victimes du massacre du 31 janvier 1794. Madame de Hillerin mère avait pris la précaution d’éloigner les autres membres de la famille : sa belle-fille Marie-Adélaïde Duchesne de Denant et son fils Charles ; ses deux petites-filles Hortense et Gabrielle, accompagnées par le fidèle jardinier Pierre Rangeard, de La Gaubretière, qui veillera sur elles durant l’année 1793.
Il est probable que les deux jeunes femmes furent confiées à leur grand-père, Gabriel-Louis de Villeneuve, au château du Cazeau qu’on pensait peut-être plus à l’abri des Bleus puisqu’il était situé au cœur du pays insurgé. On y avait même transporté les meubles du Boistissandeau. Malheureusement, le Cazeau fut ravagé par les flammes, soit après la bataille de Cholet (17 octobre 1793), soit à la fin de janvier 1794 (6), alors que le Boistissandeau sera globalement épargné par l’incendie. Réfugiées à Nantes à la fin de janvier 1794, Hortense et Gabrielle furent incarcérées en mars, puis libérées en novembre. Aussitôt elles prirent le chemin du Boistissandeau. Elles y feront bientôt la connaissance d’un jeune officier républicain.
La façade du Boistissandeau vue du côté cour
Alexandre Bourbon, un Bleu en Vendée
Alexandre-Grégoire Bourbon était né au sein d’une famille bourgeoise, le 18 mars 1768, à Saint-Florentin, entre Auxerre et Troyes. Sa vie fut bouleversée au début de la Révolution en raison d’une paternité non désirée (7), qui le poussa peut-être à embrasser la carrière militaire. Engagé déjà dans la garde nationale depuis juillet 1789, il partit alors à l'armée du Nord. Ses états de service indiquent qu'il fut nommé au grade de sous-lieutenant dans le 2e régiment d’infanterie, 2e bataillon de Picardie le 12 janvier 1792, et lieutenant le 4 mai de la même année. Il reçut un congé pour cause de blessures du 9 novembre 1792 au 1er février 1793. Promu capitaine dans le même régiment le 4 octobre suivant, il fut nommé adjoint aux adjudants généraux de l’armée de la Moselle le 11 juillet 1794.
Le 16 septembre 1795, le général de brigade Oudinot, commandant à Trèves dans l'armée du Rhin et de la Moselle, certifie que pendant son commandement comme chef de brigade du 2e régiment d’infanterie, le capitaine Alexandre Bourbon « a constamment professé les principes en la plus exacte probité, le civisme le plus pur, et déployé un courage exemplaire dans les les affaires ». Il est précisé dans son dossier militaire qu'à cette époque « le capitaine Bourbon figure sous son seul prénom d’Alexandre, celui de Bourbon étant alors compromettant ». il fut d'ailleurs compromis sous la Terreur car il « n'a jamais été le partisan des terroristes dont il a même été victime en 1793, le mois d’août à Thionville où ils l’ont fait arrêté et conduire en prison pour avoir voulu s’opposer à leur tirannie (sic) » (8).
Le 26 septembre 1795, le capitaine Bourbon fut admis aux fonctions d’adjoint sous les ordres de l’adjudant général Sénarens, employé à l’armée des Côtes de l'Océan, récemment créée par la fusion des armées de l'Ouest, des Côtes de Brest et des Côtes de Cherbourg, sous le commandement du général Hoche. On le chargea particulièrement de la surveillance du Haut-Bocage encore agité de soubresauts, depuis le poste républicain de Saint-Paul-en-Pareds, tout près du Boistissandeau (9).
Informé des malheurs de demoiselles de Hillerin, il leur porta secours et ne tarda pas à se rapprocher de Gabrielle, à tel point qu’il l’épousa dès le 5 juillet 1796, d’abord à la mairie d’Ardelay, puis la nuit suivante dans une grange, devant un prêtre insermenté, l’abbé Bourcier, ancien curé de Moutiers-sur-Lay. Si l’on ne trouve pas la mention de ce mariage dans les registres d’état civil, il apparaît toutefois dans les reconstitutions d’actes de l’époque révolutionnaire et dans son dossier militaire (10). Mais curieusement, Alexandre et Gabrielle passeront à nouveau devant le maire d’Ardelay le 9 prairial an X (29 mai 1802).
Alexandre Bourbon s’attacha aussitôt au Boistissandeau, au point qu’il fut même suspecté d’incivisme et surveillé par les autorités républicaines. Sa maîtrise du droit et des fonds substantiels obtenus sur sa part d’héritage familial lui permirent de récupérer une bonne part des terres, métairies et bois du domaine, qui avaient été confisqués comme biens d’émigrés (11) et qu’il partagea en trois lots devant notaire, le 14 mai 1800, entre les héritiers de Louis-François de Hillerin : Bazile, Hortense et Gabrielle. Il fit aussi restaurer le château, s’installa dans la partie nord-est de la demeure, laissant à son beau-frère la partie sud-ouest.
Le château vu des jardins : à gauche, le côté royaliste de Bazile ; à droite, le côté républicain d'Alexandre
Une famille déchirée
Loin d’en recevoir de la gratitude, Alexandre Bourbon fit l’objet d’attaques virulentes de la part des membres de sa belle-famille qui lui reprochaient son engagement dans les armées de la République. Bazile, qui pourtant lui devait un tiers du domaine et un faux certificat de non-émigration, fit tout pour nuire à l’ancien Bleu, jaloux de voir ce dernier devenir le nouveau maître du Boistissandeau (12). Il tenta par exemple de faire annuler le mariage d’Alexandre et Gabrielle au prétexte qu’il avait été célébré par un prêtre clandestin… en vain. Il avait d’ailleurs pour allié son beau-frère, Georges-Étienne-Alexandre Bertrand de Saint-Hubert, le mari d’Hortense de Hillerin, farouche royaliste comme lui.
Ces querelles familiales ont peut-être précipité la mort d’Alexandre Bourbon, le 1er brumaire an XIII (23 octobre 1804), à l’âge de seulement 36 ans. Il laissait à sa veuve Gabrielle, qui n’avait que 28 ans, sa part du Boistissandeau. Leur fille unique, Marie-Pierre-Alexandre, dite Alexandrine, épousera son cousin, Pierre-Louis Bourbon (1793-1869), le 3 septembre 1813 à Ardelay. Le couple s’établira dans l’aile « républicaine » du château du Boistissandeau, avec Gabrielle, et finira même, à la mort de Bazile (13) en 1842, à racheter la part de celui-ci pour devenir les seuls propriétaires des lieux.
Deux cheminées au rez-de-chaussée du Boistissandeau. Celle de gauche provient du château du Cazeau, ruiné pendant les Guerres de Vendée
Notes :
- G. Lenotre, Les Colonnes infernales, Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1924, pp. 281-302. Une lettre de Georges Le Bault de La Morinière, dont l’épouse Mathilde était l’arrière-petite-fille d’Alexandre Bourbon, fut publiée dans la livraison de la Revue des Deux-Mondes du 15 octobre 1924 (pp. 929-930) afin de démentir les allégations de G. Lenotre. Ce dernier a d'ailleurs reconnu son erreur et l'a corrigée dans son ouvrage sur Charette imprimé peu après (Frère Patrice Mainguy, Une page d'histoire du Boistissandeau avec Alexandre-Grégoire Bourbon, Revue du Souvenir Vendéen n°160, octobre 1987, p. 34).
- Récit exact de ce qui s’est passé dans la commune de Saint-Mesmin, district de La Châtaigneraie, lors du passage de l’armée soi-disant révolutionnaire, par le citoyen Barrion, officier de santé et membre de la Commission municipale de cette commune, Archives nationales, W 22, texte publié en 1895 par Ch.-L. Chassin, Les pacifications de l’Ouest, 1793-1795, t. IV, pp. 266-272.
- G. Lenotre, op. cit., p. 299.
- La chambre de Réaumur existe toujours au premier étage du château. On peut y voir, dans le mur de l’entrée, le four qui servait à ses expériences. Une plaque et un grand cadran solaire rappellent dans la cour le souvenir du savant.
- « Adélaïde Duchêne, 30 ans, de Fontenay, habitant au Bois-Tissandeau » est citée dans la liste des condamnés à mort par la commission militaire Bignon, à Nantes, le 7 janvier 1794 (A. Lallié, La justice révolutionnaire à Nantes et en Loire-Inférieure, Éditions du Choletais, 1991, p. 331).
- Réponse partielle à la question n°1048 de « Chercheurs et Curieux », Revue du Souvenir Vendéen n°291 (été 2020), pp. 43-44.
- Il eut une fille avec Marie-Anne-Élisabeth Paris, née le 2 avril 1790 à Saint-Florentin. L’acte de baptême indique que l’enfant est « attribué à Alexandre Bourbon, fils mineur de Me Pierre Bourbon, avocat au parlement et notaire au bailliage de St Florentin » (A.D. 89, état civil de Saint-Florentin, BMS, NMD 1790–AN 6, vue 18/518). La mère se mariera en 1798 avec Pierre-François Challey, qui reconnaîtra sa fille.
- Service historique de la Défense, 2 YE 491.
- Camille Lucas, Le Boistissandeau, patrimoine vivant, 2017, p. 31-33.
- Reconstitutions d'actes des naissances et des mariages de 1797-1799 (vues 2-3) et de 1751-1806 (vues 8-9). L'acte complet de ce mariage est conservé dans le dossier militaire d'Alexandre Bourbon (voir note 8). On y lit que ce dernier était assisté des citoyens Achille Grigny, général de brigade, chef d’état major général de la division du Sud, armée des Côtes de l’Océan ; Barthélémy Sénarens, adjudant général ; Louis Monnet, chef du 1er bataillon Le Vengeur, commandant l’arrondissement des Herbiers.
- Il acquit les métairies de la Chauvelière, de Pierre-Neuve, de Landraudière, de la Coumaillère, de la Pommecière, de l’Herbellière, ainsi que la maison principale (le château) et la borderie du Boistissandeau, le 21 septembre 1796 (A.D. 85, 1 Q 242-7). À cela s’ajoutèrent d’autres biens achetés en 1798 avec sa belle-sœur Hortense : la métairie des Érables, la borderie de la Chabossière et le bordage de la Minée le 30 avril (A.D. 85, 1 Q 261-3) ; la métairie de la Giletière, en Saint-Paul-en-Pareds, le 2 mai (A.D. 85, 1 Q 262) ; la métairie de la Poitevinière, en Le Boupère, le 24 juin (A.D. 85, 1 Q 266-5).
- Alexandre Bourbon adopta les usages de son nouveau rang. Il se donna un blason et adopta le nom de Bourbon de Courchamp, dont il faisait déjà usage en 1791 (SHD, 2 YE 491), en référence à l’une de ses propriétés familiales dans l’Yonne.
- Charles-Bazile de Hillerin fut maire d’Ardelay de 1808 à 1816. Pierre-Louis Bourbon, qui fut son adjoint, lui succéda.