Le projet de reconstitution du visage de Stofflet à partir de son crâne a placé ce général vendéen sous les feux de l’actualité. C’est l’occasion d’évoquer ses derniers jours et ce que devint sa dépouille. Commençons par sa capture à la Saugrenière, dans la nuit du 23 au 24 février 1796.

Capture de StoffletLa prise du général Stofflet, estampe anonyme, Musée de la Révolution française, Vizille (n° d'inventaire 1990.46.127)
   

La relance de la guerre par Charette le 24 juin 1795 ne fut pas suivie par Stofflet qui s’en tenait toujours à la trêve signée à Saint-Florent-le-Vieil le 2 mai précédent. Les deux chefs se querellaient trop désormais pour conjuguer leurs forces. Ce n’est qu’à la fin de l’année que Stofflet se vit contraint, par fidélité, à reprendre les armes sur l’ordre du comte d’Artois qui, depuis l’île d’Yeu, lui avait envoyé ses instructions dans un courrier daté du 17 novembre (1).

Le temps de le recevoir et d’organiser ses troupes, le commandant de l’armée d’Anjou et du Haut-Poitou adressa le 26 janvier 1796 une proclamation à ses divisionnaires et aux républicains, par l’entremise de l’abbé Bernier, son éminence grise (2). Il ne se faisait cependant aucune illusion sur ses chances de succès face à Hoche qui le pressait de toutes parts. Ce dernier nota, le 22 février, que Stofflet et Sapinaud n’avaient que 200 ou 300 hommes et que « les habitants ne veulent absolument pas reprendre les armes » (3).

23 février 1796, le rendez-vous de la Saugrenière

Le chef angevin sentait sa fin prochaine, en dépit d’une dernière victoire remportée sur les Bleus à Bressuire (4). « Chaque jour Stofflet apprenait la mort d’un de ses compagnons ; il s’attendait à subir le même sort » (5). Après un séjour de deux semaines dans la forêt de Maulévrier, il reçut de l’abbé Bernier l’invitation de se rendre à la métairie de la Saugrenière, paroisse de La Poitevinière. Il s’agissait, d’après Michel Coulon, secrétaire de Stofflet, « de se concerter avec des envoyés de toutes les armées de l’Ouest, pour prendre de nouveaux moyens d’offensive ». Le conseil qui se tint le mardi 23 février au soir décida justement « qu’un agent général de toutes les armées de l’intérieur serait nommé […] Ce fut M. le comte de Colbert de Maulévrier qui fut choisi » (6).

Un officier de Stofflet, René Landrin, capitaine de sa 1re compagnie de chasseurs, rapporte de son côté que le général reçut au début de 1796 une dépêche de l’armée de Bretagne. Il « convoqua ses officiers et un certain nombre d’hommes et leur assigna pour rendez-vous le Pin-en-Mauges, où était l’abbé Bernier », pour y répondre, et réunit un conseil à cette fin, à la Saugrenière, « afin d’y conférer sur le sujet des dépêches apportées par M. Érondelle, officier chouan » (7).

Pourquoi a-t-on choisi la Saugrenière ?

À cette époque, la métairie de la Saugrenière est exploitée par Jacques Lizé et sa femme, Marie-Jeanne Usureau, veuve Raimbault. Sous leur toit habitent également Jacques Raimbault (9 ans), fils d’un premier lit de la métayère ; trois domestiques ; Jeanne-Gabrielle de Grignon et sa fille de confiance, Perrine dite Perrette Pineau. Or certains d’entre eux sont liés à un officier de Stofflet, Jean-René Cesbron :

  • Marie-Jeanne Usureau est la sœur de Françoise-Guye-Michelle, l’épouse de Jean-René Cesbron ; toutes deux sont nées à la Morosière de Neuvy-en-Mauges, futur quartier général de Stofflet, où leur père était métayer.
  • Jeanne-Gabrielle Grignon dite « mademoiselle de Grignon », la paralytique de la Saugrenière (8), est la marraine de la fille de Jean-René Cesbron, Charlotte-Jeanne, née le 27 août 1796 à Neuvy. Issue de la famille des Grignon de Pouzauges, elle n’est pas du pays et a trouvé refuge à la Saugrenière probablement grâce à Jean-René.

Genealogie Lize-UsureauGénéalogie des personnes citées à la Saugrenière (entourées en rouge) et leur lien avec Jean-René Cesbron
   

Qui est ce Jean-René Cesbron ? Il est né le 12 novembre 1759 à Neuvy, a fait carrière dans un régiment de carabiniers de 1782 à 1792, date à laquelle il émigra avec son capitaine, M. de La Maurousière, de Neuvy. Il rentra pourtant au pays quelques mois plus tard, puisqu’on le trouve parmi ceux qui se soulevèrent à Saint-Florent-le-Vieil le 12 mars 1793. Il prit part à de nombreuses batailles, à Thouars, Fontenay, Nantes, Cholet, etc., et à la campagne d’outre-Loire, dont il revint au début de 1794 pour intégrer l’armée d’Anjou commandée par Stofflet, dont il était très proche (9). Il survécut à la guerre, reprit les armes en 1815, devint ensuite régisseur à la Morosière où il mourut le 7 novembre 1827. Sa sépulture a disparu au cimetière de Neuvy-en-Mauges, mais sa pierre tombale a été conservée au Musée d’Art et d’Histoire de Cholet (illustration ci-dessous).

Tout porte à croire que Jean-René Cesbron a proposé à l’abbé Bernier que le conseil se tienne à la Saugrenière, un lieu qu’il connaissait bien et dont les occupants avaient sa confiance pour que Stofflet y séjourne en sécurité (10).
   

Pierre tombale de JR CesbronDétail de la pierre tombale de Jean-René Cesbron (Musée d'Art et d'Histoire de Cholet)
   

Que s’est-il passé à la Saugrenière ?

Stofflet arriva à la métairie au petit matin du mardi 23 février 1796, en compagnie de Michel Coulon, son secrétaire ; de Charles de Lichtenheim, son aide de camp ; de Joseph Moreau, son domestique ; de Joseph-Philippe Érondelle Desvarannes, l’officier émissaire des Chouans de Bretagne ; et de deux courriers, Michel Grolleau et Pierre Pineau. L’abbé Bernier les rejoignit pour le conseil qui se tint après le souper jusqu’à deux heures du matin, puis il se retira dans une métairie voisine (11). D'autres officiers assistèrent à la réunion, mais ne restèrent pas sur place pour la nuit : MM. Chesnier du Chêne, un envoyé de Charette ; de Jouette, un envoyé de Puisaye ; d'Autichamp ; de La Béraudière ; ainsi que Jean et François Soyer. 

Ce même 23 février, la retraite de ces chefs fut dénoncée auprès du général Caffin qui, d’Angers, envoya le lieutenant Jean-Baptiste Liégeard, son aide de camp, vers le général Ménage qui occupait Chemillé. Aussitôt on constitua un détachement de 200 fantassins et 25 cavaliers placés sous les ordres de Charles Loutil, chef du 7e bataillon de Paris. La troupe quitta Chemillé à onze heures du soir, marcha sur le château du Souchereau (12) et y saisit le métayer Michel Raimbault pour qu’il leur servît de guide. À quatre heures du matin, le 24 février, la Saugrenière était encerclée.
   

Carte – la SaugreniereCarte des lieux cités et parcours du détachement républicain
      

René Landrin relate la capture de Stofflet dans sa Notice, mais il se trouvait à La Chapelle-du-Genêt avec son corps de chasseurs. Il arriva trop tard sur place et n’a pu savoir ce qu’il s’était passé que par des témoins oculaires, notamment Michel Coulon. Toutefois celui-ci n’a pas vu réellement grand-chose. Il dit que les occupants de la métairie ont été réveillés par des coups de fusil. Il se saisit des papiers restés sur la table, pensait que ses compagnons d’infortune s’étaient sauvés et voulut en faire autant. « J’entendis défoncer toutes les portes à la fois, et les cris répétés de « Vive la République ! » me firent présumer que le général était pris. Le brave Stofflet se défendit avec les mains, autant que possible ; il était déjà parvenu à se débarrasser d’une grande quantité de soldats, lorsqu’il fut atteint de plusieurs coups de baïonnette et d’un coup de sabre qui lui abattit le front sur les yeux. On le pilla, on lui ôta ses vêtements, et on le vêtit d’une mauvaise rouppe ; on le laissa nu-pieds jusqu’à Chemillé, et ensuite on le conduisit dans cet état à Angers… » (13) La confusion du combat entre Stofflet et les soldats républicains au milieu d’une pièce plongée dans une quasi-obscurité a permis à Michel Coulon d’échapper à ce coup de filet.

Madame de La Bouëre a recueilli le témoignage de la veuve Raimbault (14), qui l’avait accueillie chez elle quelque temps après. Elle rapporte que les Bleus frappèrent à la porte et, usant du mot de passe « Forestier », demandèrent à parler à l’abbé Bernier. Ils envahirent la maison, se saisirent de Stofflet, fouillèrent le grenier et les meubles, et prirent tous ceux qui accompagnaient le général. Dans leur fureur, des Bleus montèrent sur le lit de « mademoiselle de Grignon » et la piétinèrent (15).

D’autres récits de témoins ont été collectés ultérieurement : celui de Jacques Raimbault, par Edmond Stofflet, le biographe du général vendéen ; celui de Perrette Pineau, par l’abbé Deniau ; et ceux de proches parents de Jeanne-Gabrielle Grignon, par Théodore de Quatrebarbes et à nouveau l’abbé Deniau, qui ont pu ainsi dépeindre plus précisément la scène et les sévices que les soldats firent subir à la métayère ou à la paralytique, voire aux deux, en les poussant vers le feu de l’âtre, ce qui aurait décidé Stofflet à sortir de sa cachette (16).
   

La SaugreniereLa plaque du Souvenir Vendéen à la base de la croix de la Saugrenière (on aperçoit la ferme à l'arrière-plan)
   

Qu’en disent les sources républicaines ?

Le général de brigade Ménage établit un compte rendu dès le 24 février à l’attention du général Hédouville, chef de l’état-major général à Angers. Il rapporta qu’il avait chargé Loutil de se rendre avec sa troupe à la Saugrenière, « lieu indiqué comme repaire de chefs de brigands ». Celui-ci cerna le lieu, s’avança à la tête de douze grenadiers et « ayant frappé à la porte il lui fut demandé qui est là ? Il répondit royaliste se nommant Forestier ». Au même moment, l’aide de camp Liégeard s’annonce à une autre porte sous le nom de « Schtout » (17). « Alors les portes furent ouvertes, ils reconnurent plusieurs personnes armées qui furent sommées par le chef de bataillon de mettre bas les armes […] Loutil, un sergent et deux grenadiers pénétrèrent dans la chambre pour les en arracher de vive force ; dans ce moment Stofflet prit au cheveux Audious, grenadier au 32e régiment, et sans le secours du citoyen Flageolet, sergent de grenadiers du 7e bataillon de Paris, et celui du citoyen Chartier, également grenadier au 32e, ce brave soldat aurait été sacrifié. Les hommes trouvés dans cette maison sont les nommés Stofflet, chef supérieur de Brigands ; Lchmtmayeur et Devarainne, ses deux aides de camp, Renaud, Pineau et Méreaux, dont deux courriers et un domestique » (18).

Manque à l’appel Michel Coulon, le seul qui ait réussi à s’enfuir. À part Jacques Lizé, qui fut brutalisé, les habitants de la Saugrenière ne furent pas inquiétés car, en entendant approcher un galop de chevaux, les Bleus évacuèrent promptement les lieux en direction de Chemillé, avec leurs prisonniers, par crainte d’une riposte (19).

À suivre…

Vous pouvez participer au projet de reconstitution du vrai visage de Stofflet en cliquant sur l'image ci-dessous :

Bandeau_FB_Mission_Stofflet


Notes :

  1. J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, t. VI, pp. 53-56.
  2. Savary, op. cit., pp. 133-155.
  3. Savary, op. cit., pp. 186.
  4. SHD B 5/35-56, lettre du représentant Goupilleau de Montaigu, 16 février 1796.
  5. Edmond Stofflet, Stofflet et la Vendée, 1753-1796, réimpr. Pays et Terroirs, 1994, p. 407. « Le général connaissait parfaitement l’opinion publique et savait par expérience que les habitants ne prendraient jamais les armes […] ; il en était tellement persuadé, qu’il me disait le long du chemin que nous marchions vers l’échafaud » (Edmond Stofflet, Un Vendéen, documents historiques, 1877, p. 183).
  6. E. Stofflet, Un Vendéen…, p. 183.
  7. Notice sur la vie de Stofflet, par Landrin, l’un de ses officiers, 1889, pp. 13-14.
  8. On lira à son sujet l’article de C. et L. Gosselin, La paralytique de la Saugrenière (23 février 1796), Revue du Souvenir Vendéen n°248 (septembre 2009), pp. 25-38.
  9. Jean-René Cesbron prendra soin de la compagne et des deux enfants de Stofflet après la mort de ce dernier (manuscrit de la Notice sur la vie de Stofflet par Landrin). Les renseignements sur Jean-René Cesbron ont été fournis par Jean-Gaël Cesbron.
  10. Madame de La Bouëre indique dans ses Souvenirs que la Saugrenière « était toujours encombrée de fugitifs. Elle a été préservée de l’incendie, au milieu de toutes celles qui ont été brûlées dans la paroisse de la Poitevinière » (Souvenirs de la comtesse de La Bouëre, la Guerre de la Vendée, 1793-1796, réimpr. Pays et Terroirs, 1994, p. 234).
  11. Madame de La Bouëre écrit qu’on avait averti l’abbé Bernier « que beaucoup de pauvres étaient venus ce jour-là, qu’on les soupçonnait d’être des espions déguisés, et qu’il devait, pour sa sûreté, changer de retraite » (Souvenirs…, op. cit., p. 231). Il semble bien, du reste, que « ce n'était pas lui (Stofflet) que l'on cherchait, mais l'abbé de St-Laud » (Blordier-Langlois, Angers et le département de Maine-et-Loire de 1787 à 1830, 1837, t. II, p. 89). Elle ajoute que l’abbé Bernier trouva refuge à la métairie du Pé-Grimaud, ce que l’abbé Deniau et Edmond Stofflet contredisent. D’après eux, le prêtre déclara qu’il alla demander un abri à la Petite-Ramée, à quelques centaines de mètres de là, mais au lieu de cela il se rendit au Chêne-Percé (Deniau, p. 465 ; E. Stofflet, p. 412). Edmond Stofflet brode ensuite en prétendant que l’abbé Bernier passa la nuit dans l’unique chambre dont la petite fenêtre donnait sur le chemin de Chemillé, qu’il vit les Bleus s’arrêter devant la maison, et qu’il s’entretint même avec l’un des soldats qui frappa à son volet. Le problème est que le Chêne-Percé n’est pas sur le chemin du Souchereau à la Saugrenière et que, d’après Deniau, c’est bien le métayer Raimbault, du Souchereau, qui les mena à destination (il sera même exécuté en représailles quelques jours plus tard par des hommes de Stofflet). Qu’importe, il n’en fallait pas plus pour enflammer la légende noire du « traître » Bernier…
  12. Ce vieux château, dont dépendait la Saugrenière, a été détruit.
  13. E. Stofflet, Un Vendéen…, p. 184. Une rouppe est une sorte de redingote. 
  14. Madame de La Bouëre l’appelle à cette époque la « veuve Raimbault » parce que le mariage de Jacques Lizé et Marie Usureau, bien que célébré le 11 février 1796, ne fut enregistré que le 17 ventôse an VII (7 mars 1799).
  15. Mme de La Bouëre, op. cit., pp. 231-234.
  16. E. Stofflet, Stofflet et la Vendée, op. cit., p. 415. – Théodore de Quatrebarbes, Une paroisse vendéene sous la Terreur, rééd. Y. Salmon, 1980, p. 153. – Félix Deniau, Histoire de la Vendée, 1848, t. V, pp. 467-468.
  17. Ce nom est celui de Pierre-Jean-Louis Chetou (1757-1804), officier dans l’armée d’Anjou, originaire de Champtoceaux. Loutil a prétendu être entré le premier, ce que Liégeard a contesté (voir sa lettre envoyée de Doué le 6 mars 1796 à Hoche, insérée dans le numéro des Affiches d'Angers du 26 ventôse an IV, 16 mars 1796). Cette dispute entre les deux officiers était probablement mue par le désir de s’attirer le mérite d’avoir présidé à la capture de Stofflet (C. et L. Gosselin, op. cit., p. 29).
  18. SHD B 5/35-81 (les mots soulignés le sont dans la pièce originale). Dans le feu de l’action, les noms ont été notés à la va-vite. Dans sa transcription, Savary les a rectifiés (op. cit., p. 190).
  19. Deniau, op. cit., p. 469. Ces chevaux étaient ceux que Stofflet et son escorte avaient laissés au Pé-Grimaud, tout proche de la Saugrenière, et que les métayers du lieu avaient relâchés par crainte d’être compromis.