Les papiers des commissaires cantonaux nous en apprennent beaucoup sur l’état du pays sous le Directoire. Ceux de Chantonnay donnent un aperçu assez détaillé pour appréhender le difficile retour à la paix et la menace d’un nouveau soulèvement.
Extrait d'une lettre de Boutolleau, agent de Chantonnay, à propos de Béjarry (portrait en médaillon), le 8 novembre 1799 : « … Caillaud lui ayant écrit pour l’engager a prendre partis avec lui, il avoit renvoyé le porteur de la lettre a coups de pied au cul et avoit auparavant jetté cette lettre au feu… »
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Le canton de Chantonnay se situait à la marge de l’insurrection de mars 1793. S’il est loin d’y avoir pris part autant que les communes situées plus au nord, il a cependant constitué une zone stratégique sur la frontière du Grand-Lay, que Blancs et Bleus se sont âprement disputées autour du Pont-Charron. La guerre y a donc apporté son lot de malheurs et de destructions. Au début de 1794, le chef-lieu était occupé par une garnison sous les ordres du général Bard, mais ce dernier reçut l’ordre d’évacuer ce poste avancé et de le brûler (1). Ce repli ne fut toutefois que provisoire.
La grande arche du Pont-Charron enjambe le Grand-Lay depuis le milieu du XVIIIe siècle.
L’état du canton en 1797
La reprise en main de cette région par les républicains ne se fit pas sans heurts. Chantonnay restait sur une ligne de front, dont le camp de Pont-Charron assurait la garde. Les Vendéens n’hésitèrent pourtant pas à l’attaquer, et même à tuer le maire de la ville en août 1794 (2). On mesure les difficultés à relever le canton de ses ruines et à le pacifier en constatant l’état qu’en fit trois ans après le citoyen Brevet, son commissaire (3). Dans sa lettre du 1er vendémiaire an VI (22 septembre 1797), ce dernier insiste sur le fait que la tranquillité règne, tout en regrettant de ne pouvoir annoncer « cet amour ardent et bien prononcé pour la liberté et le gouvernement républicain, de la part d’un peuple sortant de la lice ensanglantée des discordes civiles et que le fanatisme exalta et abrutit ».
Il détaille ensuite point par point l’état de son canton : il n’y a pas d’instruction publique ; l’état civil est bien constaté (4) ; aucun délit n’a été observé par la police ; il n’y a ni prêtres, ni cloches (5) dans tout le canton ; le recouvrement des impôts connaît encore des difficultés ; les grandes routes et les chemins vicinaux sont dégradés, faute d’entretien ; l’agriculture et le commerce reprennent peu à peu leur ancienne activité ; aucune fête de la République n’a encore eu lieu ; la force armée manque de discipline.
Sur ce dernier point, le commissaire se plaint particulièrement de la conduite des soldats à Chantonnay dans une lettre du 11 frimaire an VI (1er décembre 1797) : « Elle est absolument indisciplinée, perturbatrice du repos public ; les chefs sont mous, incapables, et se compromettent à chaque instant avec leurs subordonnés (…) Les deux cloches de la commune existent encore dans le cloché (sic), les soldats les font sans cesse sonner, sans que les chefs s’y opposent, ils inquiètent par là les citoyens ; ils font tapage dans les rues, à des heures indües. Ce qui est pire encore, non contents de troubler le repos des vivants, ils vont encore violer l’asile des morts et en remuer les cendres ; il existe dans l’église quelques caveaux, où l’on a déposé des morts ; eh bien ! ils ont levé les pierres qui les couvraient et déterré les ossements. Cette conduite est affreuse chez des soldats républicains… »
Carte des lieux cités dans l'article
Des fêtes républicaines de 1798
à la menace d’une nouvelle Chouannerie
Malgré ce désordre d’une poignée de militaire, le commissaire se félicitait quelques jours plus tard, le 21 frimaire (11 décembre 1797), de la tranquillité de son canton, « à quelques murmures près, occasionnés momentanément par la dure corvée de la réquisition ». Mais ces « murmures » encore étouffés cachaient en réalité un profond mécontentement, qui ne fit qu’empirer jusqu’en 1799.
Le 2 pluviôse (21 janvier 1798), on célébra pour la première fois l’anniversaire de « la juste punition du dernier roi des français » en plantant l’arbre de la liberté à Chantonnay au milieu des cris de « Vive la République et la paix ». Cette paix semblait désormais acquise, à peine troublée par « un rassemblement de brigands aux Quatre-Chemins-de-l’Oie » signalé le 1er prairial (20 mai 1798).
Les choses se gâtèrent l’année suivante, au cours de l’été 1799. « Si malheureusement on laisse le noyeau (de mouvements contre-révolutionnaires) se grossir, je ne doute nullement que le torrent n’entraine un peuple si facile à séduire et dont le fanatisme est inexprimable », écrit le commissaire Brevet le 22 messidor an VII (10 juillet 1799), avant d’appeler à « déployer à ses yeux un formidable appareil de forces, pour qu’il (le peuple) ne puisse plus douter de la puissance invincible de la République ». Il ajoute plus loin qu’il « n’y a nul doute que l’on cherche à organiser dans ce département un plan de chouanerie (6) ». Les rapports signalent d’ailleurs des pelotons de gens armés et inconnus, peu nombreux, portant des cocardes blanches.
Il sonne encore l’alarme dans une dernière lettre du 13 thermidor an VII (31 juillet 1799) : « Les nouvelles facheuses qui se succèdent sans-cesse ne laissent plus aucuns doutes que les progrès que fait la chouannerie, qui s’organise d’une manière effrayante sur divers points de ce département ». Il réclame à nouveau un renfort de troupes en répétant presque mot pour mot son appel du 22 messidor : « Il faut que par la circulation de nombreuses colonnes de troupes, sur tous les points de ce pays, il (le peuple) ne puisse plus douter de la force invincible de la République ».
La signature de Brevet, commissaire du canton de Chantonnay
Le commissaire Boutolleau
Un nouveau commissaire entre en scène le 30 octobre 1799 (7), Jean-Auguste Boutolleau, dont on peut regretter qu’il maîtrise moins bien l’écriture et l’orthographe que son prédécesseur. Il occupait jusqu’alors la fonction d’agent (8) de la commune de Chantonnay. Un document daté du 27 août 1798 le décrit comme « zélé, éclairé et d’un patriotisme à l’épreuve ; converti, mais depuis l’époque de sa conversion ayant toujours montré beaucoup de zèle et d’activité » (9).
Quelques jours avant sa nomination, il avait dénoncé les effets désastreux des réquisitions dans une lettre du 14 vendémiaire an VIII (6 octobre 1799). En dépit des secours annoncés, « nous n’en sommes pas moins consternés, écrit-il, depuis l’ordre de l’ad(ministration) centrale du 7 de ce mois (soit le 29 septembre) qui nous ordonne de requérir les bœufs des cultivateurs pour faire le service des convois militaire ; on ne peut en peindre le mécontentement des habitants de la campagne auquels cette mesure aporte un préjudice incalculable (…) Les chemins sont horrible ; ils (les bœufs) seront forcé de coucher en route soit à Germins (Saint-Germain-de-Prinçay) ou à Fulgent (Saint-Fulgent) ; il n’ont point de foins pour leurs bœufs… »
Cette grogne ne fut pas sans effet sur les troubles qui agitaient le Bocage depuis l’été. Mais heureusement pour lui, Boutolleau avait un motif de soulagement face à cette crise. Amédée de Béjarry (10), ancien officier de l’armée du Centre, qui résidait en lisière du canton de Chantonnay et qui pouvait agréger autour de son nom tout ce que les alentours comptaient de mécontents, avait décidé de ne pas reprendre les armes.
La signature de Boutolleau, agent de la commune de Chantonnay, faisant office de commissaire
Béjarry contre Caillaud
Les chefs vendéens étaient en effet partagés sur cette tentative d’insurrection. Charles Caillaud (11) en avait pris ouvertement le parti et tentait d’y rallier ses partisans. Ses efforts se heurtèrent à un refus de la part de Béjarry, dont les mémoires ne restituent pas, hélas, la verdeur des propos. Il faut se fier à la lettre du commissaire Boutolleau, en date du 17 brumaire an VIII (8 novembre 1799) pour avoir une idée de ce qu’il se passa.
« D’après les rapports qu’on ma fait de sa conduite, rapporte-t-il en parlant d’Amédée de Béjarry, il ne peut avoir secondés les chouans. On dit au contraire que Caillaud lui ayant écrit pour l’engager a prendre partis avec lui, il avoit renvoyé le porteur de la lettre a coups de pied au cul et avoit auparavant jetté cette lettre au feu devant ce digne courrier pour qu’il en portat la nouvel a son général. Quel général ! (le grand Caillaud) ». On ne trouve aucun écho de cette anecdote dans les Souvenirs vendéens d’Amédée de Béjarry, publiés en 1884 par son petit-fils à partir de notes. L’ouvrage ne relate que brièvement et de manière bien trop fade ce que fut la prise d’armes de 1799.
Le commissaire note ensuite : « Tant qu’au (pour : Quant au) cit(oyen) Bejary lainé (l’aîné) qui est sous la surveillance de notre ad(ministration), sa conduite est sans reproche, il deteste autant les Brigands que le meilleur Republicain, il se presente tous les quintidi et décadi à l’ad(ministration)… » Il s’agit là de Gaspard de Béjarry, l’aîné de la fratrie, qui mena sa guerre comme sa vie, en se détachant de ses proches (12).
Le porche du logis des Fournils, où Girard de Villars fut attaqué par des insurgés en 1799
L’échec du soulèvement de 1799
Les effets de cette « chouannerie » dans le pays de Chantonnay se soldèrent par quelques coups de force sans lendemain. Le plus marquant eu lieu en septembre, lorsqu’une bande investit le logis des Fournils et blessa de plusieurs coups de baïonnette l’ancien conventionnel Girard de Villars (13), qui mourut de ses blessures trois mois plus tard, le 25 décembre 1799, à Fontenay-le-Comte.
Et pourtant Boutolleau déclarait dans sa lettre du 17 brumaire que son canton « est et a toujours été très tranquille. Les citoyens de toutes les classes qui habite ne veulent point la guerre. Les Brigands ont tenté en vain de les séduire. Leurs efforts ont été nuls. Les communes de Prouant (Saint-Prouant) et Rochetrejou sont de temps a autre fort incommodée par quelques uns de ces Brigands qui son eparpillé en bande de trois à quatre coquin inconnus à notre canton ». Il ajoute que « la défaite de Caillaud a rétabli la tranquillité dans les cantons voisins et la victoire remportée aux Aubiers (14) finit de rassurer les Républicains ».
Ces derniers avaient toutefois à se plaindre « des chefs qui on passé dans ce pays pour aller à Nantes, notamment des citoyens Desbureau (15) ajudant général, lequel a dit que notre pays étoit en état de siège. Il nous a falus nourrir ses domestique et ses chevaux (…) Malheur à ceux qui se trouve sur le passage de tels chefs. On doit sentir que le soldat imite en tout ses supérieurs en pareil cas… » Le commissaire émit le même reproche, le 14 frimaire an VIII (5 décembre 1799), à l’encontre de Desbureaux, qui « nous a requis de faire réparer une voiture soi disante d’artillerie dans laquelle il emmenait ses effets de la Rochelle à Nantes ».
À Chantonnay, le nom de Girard de Villars a été donné à un petit square (avec un usage trompeur des majuscules qui donne l'impression que Girard serait son prénom)
Derniers soubresauts des chouans
Le soulèvement de 1799 n’a pas connu en Vendée la même ampleur qu’au nord de la Loire. Dans le canton de Chantonnay, Boutolleau signale encore plusieurs exactions le 14 frimaire : « Les chouans ne cessent de nous piller ; il sont tous les jours sur notre canton ; il étoient le 4 de ce mois (soit le 25 novembre) au nombre de vingt dans la commune de St Prouant ; il ont pris les armes qu’ils ont trouvées et des celles (selles) pour leurs chevaux (…) Il étoient hier au Boupère un nombre de dix huit dont dix à cheval (…) la nuit dernière il se sont porté cinq chez le cit(oyen) Rouillon, percepteur de la commune de Sigournay ; il ont demandé des armes, s’était un prétexte, il on emporté de l’argens, un manteau et plusieurs autres effets ; il ont été en deux autres maisons où ils on pris de l’argens et des chevaux… »
La présence renforcée de la force armée en vint pourtant à bout. Ultime fait d’armes relevé, une bande de « 60 brigands » entra à Chantonnay le 3 janvier 1800, se saisit d’un patriote pour le fusiller dans le cimetière, mais douze gendarmes qui survinrent pour les en empêcher tuèrent deux rebelles et leur pris deux chevaux (16). Ainsi prit fin la guerre dans le canton.
Notes :
- Lettre du général Bard, 3 mars 1794, SHD B 5/8-71. Parmi les autres communes du canton de Chantonnay (dans ses limites directoriales), seul Rochetrejoux a vu passer une colonne infernale, celle de Lachenay, qui l’a incendié le 31 janvier 1794.
- Tableau des opérations de l’armée de l’Ouest, SHD B 5/10-1, 24 thermidor an II (11 août 1794), vue 11/26.
- Sous le Directoire, la Vendée a été divisée en 58 cantons. Chaque commune désigne un agent (équivalent du maire) et son adjoint, qui se réunissent au chef-lieu pour former une municipalité de canton ; celle-ci est dirigée par un présidentet surveillée par un commissaire qui renseigne son collègue près le Directoire exécutif à Fontenay. La correspondance du commissaire de Chantonnay, dont sont extraites toutes les citations de l’article ci-dessus, est conservée aux A.D. 85 sous la cote L 230.
- La reconstitution de l’état civil soulève bien des problèmes, ici comme dans d’autres communes vendéennes. Dans une lettre du 1er prairial an VII (20 mai 1799), le commissaire demande par exemple comment agir quand on présente à l’enregistrement des enfants nés il y a 4 ou 5 ans. La réponse ne se trouve pas dans le dossier.
- En réalité il en reste encore deux dans le clocher de l’église de Chantonnay, comme on le voit au paragraphe suivant.
- On parle désormais de « chouans » et de « chouannerie » pour tous les mouvements contre-révolutionnaires de l’Ouest, y compris au sud de la Loire.
- AN F1b II Vendée 1/48, vue 5/6.
- Équivalent de maire sous le Directoire. Auguste Boutolleau sera à nouveau maire de Chantonnay de 1801 à 1806, année de sa mort.
- AN F1b II Vendée 1/40, vue 17/38. Entendez par cette conversion qu’il était un ancien royaliste.
- Amédée-François-Paul de Béjarry (Luçon, 1770 – Luçon, 1844), était un ancien officier dans l’armée du Centre, aide de camp de Charles-Aymé de Royand, qu’il remplaça quand celui-ci mourut pendant la Virée de Galerne. Blessé au Mans, il parvint à regagner la Vendée et prit la tête de la division de Mouchamps. En janvier 1795, il fut envoyé à Nantes pour négocier la paix qui sera signée à la Jaunaye le 17 février, puis à Paris comme émissaire. Il fit sa soumission en juillet 1796.
- Charles-Louis Caillaud (Moutiers-sur-Lay, 1770 – Château-Fromage, 1851) a combattu en 1793 dans l’armée du Centre, aux côtés de Saint-Pal, de Chouppes et Bulkeley. Il resta en deçà de la Loire à l’époque de la Virée de Galerne et rallia Charette. Il fit sa soumission en 1796, fut emprisonné à Saumur, mais s’évada. Arrêté à nouveau en 1798 à La Limouzinière, il subit une nouvelle détention de trois mois à Fontenay-le-Comte. Il reprit les armes en 1799 et se signala dans plusieurs combats, à Saint-Martin-des-Noyers, Thorigny et Bournezeau (Revue du Souvenir Vendéen n°228, septembre 2004, pp. 44-45).
- Les frères Béjarry étaient : Anne-Gaspard-Bonaventure (Luçon, 1762 – Saint-Germain-de-Prinçay, 1829), Augustin-Philippe (Luçon, 1766 – Saint-Florent-des-Bois, 1824), Amédée-François-Paul (voir note 10) et Charles-Armand (1773 – Saint-Martin-Lars-en-Sainte-Hermine, 1846). Gaspard s’éloigna de sa famille à cause d’une succession qui lui échappa, bien qu’il fût l’aîné.
- Issu d’une famille protestante, Charles-Jacques-Étienne Girard de Villars était né en 1732 à Villars, paroisse de Sainte-Cécile. Avocat du roi au siège présidial de La Rochelle à partir de 1758, puis avocat à Chantonnay, il fut élu député à la Convention, où il vota pour la réclusion et le bannissement de Louis XVI. Il siégea ensuite au Conseil des Anciens jusqu’en 1797 (Yves Krumennacker, Être protestant en terre catholique : l’exemple du Bas-Poitou au XVIIIe siècle, actes du colloque Christianisme et Vendée, C.V.R.H., 2000, p. 181). On lit parfois que Girard de Villars est mort dans son logis des Fournils, ou à La Rochelle, bien que son acte de décès indique qu’il est décédé le 4 nivôse an VIII (25 décembre 1799) chez la veuve Dubois à Fontenay-le-Peuple (Fontenay-le-Comte, NMD, an VIII, vue 290/428).
- D’Autichamp fut sévèrement battu aux Aubiers les 3 et 4 novembre 1799.
- Charles-François Desbureaux (Reims 1755 – Paris 1835), commandant de la 12e division militaire, siégeant à Nantes, en juillet 1799. On lit parfois, à tort, qu’il aurait battu les Vendéens aux Aubiers le 3 novembre 1799. Il quitta la Vendée le 2 décembre suivant.
- Ch.-L. Chassin, Les pacifications de l’Ouest, 1794-1801-1815, t. III, p. 541.