Une vente exceptionnelle va se dérouler du 27 au 29 octobre 2022 au château du Bois de la Motte, à Pleslin-Trigavou (Côtes-d’Armor). Plus de 2.000 pièces ayant appartenu à l’ancien commissaire-priseur Daniel Offret seront mises aux enchères, notamment un portrait digne d’un général vendéen, mais qui soulève quelques questions.
Détail du portrait présumé de Charles, comte de Tryon (1773-1852), attribué à Jean-Baptiste Paulin-Guérin (photo La Gazette Drouot)
Les sites dédiés aux ventes aux enchères ne tarissent pas d’éloges sur la richesse et la qualité du mobilier et des objets exposés dans le catalogue. Tous mentionnent parmi les pièces les plus remarquables un grand tableau (146 x 112 cm) représentant un portrait « présumé » du comte Charles de Tryon (1773-1852), « attribué à » Jean-Baptiste Paulin-Guérin, apparemment en raison de la ressemblance du costume avec celui de Charette, tel que cet artiste l’a peint en 1819. C’est ce que semble indiquer la notice descriptive : « Nous rapprochons ce portrait rétrospectif de la série des généraux vendéens aujourd'hui conservée au Musée d'Art et d'Histoire de Cholet, commandée par Louis XVIII au début de la Restauration ». Et pour renforcer le caractère incertain de l’œuvre, une étiquette au dos du tableau le présente comme le « portrait du général vendéen Comte de Courcy, représenté grandeur nature ».
Charles de Tryon, porteur de dépêches
Qui était ce personnage ? Charles de Tryon (ou trouve aussi : de Trion) est né le 7 septembre 1773 au château de Salles, à Chassenon (Charente). Page du Grand Maître de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem et de Malte en 1785, il servit une année dans la marine de Malte de 1788 à 1789, fut congédié pour rentrer en France en 1791, mais émigra aussitôt. Il s’engagea dans l’armée des Princes, puis serait passé en Vendée en 1793, bien qu’il n’y ait a priori laissé aucune trace. Il n’en laissa pas davantage lorsqu’il suivit, dit-on, l’armée vendéenne dans sa campagne d’outre-Loire, armée qu’il la quitta après la déroute pour rejoindre les Chouans, jusqu’à la pacification (1).
Il fut ensuite chargé de missions en Angleterre auprès du comte d’Artois (futur Charles X) et de Windham, ministre britannique de la Guerre ; accompagna ce même comte d’Artois dans l’expédition à l’île d’Yeu en qualité de capitaine aide de camp du général La Rosière en 1795 ; et fut chargé d’ordres et de dépêches pour la Bretagne, l’Anjou et le Poitou, en 1796. Après la mort de Stofflet et de Charette, il passa en Espagne et poursuivit en 1797 sa mission de porteur de dépêches (2).
Rentré en Angleterre après le coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797), il fut nommé lieutenant-colonel et chevalier de Saint-Louis par le comte d’Artois ; il en arbore d’ailleurs la médaille sur le portrait, à côté d'un Sacré-Cœur. Il attendit 1801 pour revenir en France, et 1814 pour retrouver des fonctions militaires au sein de l’état-major.
En 1809, il avait épousé à Paris Françoise-Cornélie de Courcy, ce qui explique probablement qu’il soit désigné comme « Comte de Courcy » sur l’étiquette au dos du tableau, bien que ce titre pose quelques interrogations. De cette union naquirent deux fils, Raoul et Gaston, et deux filles, Alix et Adélaïde (3). Charles de Tryon mourut à Paris le 31 mars 1852.
Le portrait présumé de Charles de Tryon, vue complète dans le salon Louis XVI du château du Bois de la Motte
Le chevalier de Trion
Charles était-il ce « chevalier de Trion » qui accompagnait le marquis de Rivière, aide de camp du comte d’Artois, envoyé auprès de Charette et Stofflet en mai 1795, pour leur demander de se préparer à reprendre les armes et à effectuer une puissante diversion en Vendée, alors que se tramait un projet de débarquement sur les côtes de Bretagne ? (4) Je miserais plutôt sur Jean-Baptiste de Tryon, frère aîné de Charles, lui aussi chevalier de Malte, plusieurs fois chargé de missions en 1795 en tant qu’officier de l’armée de Scépeaux (5). Ayant quitté le pays à la fin de la guerre, il demanda sa radiation de la liste des émigrés, et celle de son frère, en juin 1797. Il revint à Paris pour suivre son affaire, mais fut arrêté après le coup d’État de fructidor, condamné à mort le 30 janvier 1798 et exécuté le lendemain (6).
Une chose est sûre, Charles de Tryon n’a jamais été un général vendéen, quelles que soient les prétentions de son portrait qui emprunte aux véritables généraux : à Lescure l’épée, à La Rochejaquelein (Louis) les gants blancs, mais surtout à Charette pour le dolman vert sombre aux brandebourgs en tresses rondes d’argent, le pantalon de cheval garni de tresses elles aussi d’argent encadrant le petit pont, et le fameux chapeau à panache blanc. Une autre chose est sûre cependant, la cote de ce tableau, estimée entre 6.000 et 10.000 € risque de s’envoler.
Cette vente exceptionnelle de l’ensemble du mobilier du château du Bois de la Motte se déroulera sur trois jours, du 27 au 29 octobre 2022, au château, commune de Pleslin-Trivagou (Côtes-d’Armor).
Les ventes auront lieu sous barnum chauffé les jeudi 27 (lots n°1 à 674), vendredi 28 (lots n°675 à 1352 bis) et samedi 29 octobre 2022 (lots n°1353 à 2054 et suivants), de 9h à 12h et de 14h à 19h.
Le portrait présumé de Charles de Tryon (lot n°1104) sera par conséquent proposé lors de la vente du vendredi 28, à partir de 14h.
Notes :
- Jean Pinasseau, L'émigration militaire. Émigrés de Saintonge, Augoumois, et Aunis dans les corps de troupe de l'émigration française, 1791-1814, Picard, 1974, vol. 2, p. 279.
- Ibidem.
- Nobiliaire universel de France, ou Recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce royaume, 1817, vol. 10, p. 409.
- J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, 1843, t. II, pp. 380-382. Ce même marquis de Rivière revint en Vendée en août remettre à Charette un brevet de lieutenant général et le grand cordon de Saint-Louis.
- Comte de Vauban, Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de la Vendée, 1806 (édition « chez les marchands de nouveautés »), p. 282. Jean-Baptiste est né le 25 février 1772 à Chassenon.
- Victor Pierre, Les émigrés et les commissions militaires après fructidor, Paris, Lib. Victor Palmé, 1884, p. 13.