En parcourant les papiers du commissaire du canton de Chantonnay sous le Directoire, un nom m’a interpellé, celui de la « citoyenne de Beauharnais ». Je savais ce nom attaché au château des Roches-Baritaud, à Saint-Germain-de-Prinçay, mais quel était son lien avec Joséphine ?
Détail de la lettre du citoyen Majou citant la « citoyenne de Beauharnais »
(A.D. 85, L 230)
Autant vous dire d’emblée que la tradition locale selon laquelle Joséphine de Beauharnais (1) aurait passé plusieurs années de sa vie aux Roches-Baritaud avant la Révolution, qu’Hortense y aurait planté des arbres, ou encore qu’Eugène de Beauharnais y serait né, ne repose sur rien de probant.
Il faut plutôt chercher du côté d’un oncle d’Alexandre de Beauharnais, prénommé Claude (2). Né à Rochefort en 1717 et officier dans la Marine royale, celui-ci acheta les Roche-Baritaud en 1756 (3) et vint s’y installer par la suite avec son épouse, Marie-Anne-Françoise Mouchard de Chaban (4). Il entreprit d’importants travaux, dont il nous reste l’aile adossée aux tours d’entrée, tout en conservant le vieux donjon (illustration ci-dessous). En 1759, le roi Louis XV érigea la châtellenie en comté. Après la mort de Claude de Beauharnais en 1784 à Paris, sa femme obtint la jouissance du château, bien qu’elle passât une bonne partie de son temps à la capitale, où elle tenait un salon réputé (5). Elle y demeura sous la Révolution, à laquelle elle survécut (6).
Le château des Roches-Baritaud à Saint-Germain-de-Prinçay
C’est elle que j’ai croisée dans cette lettre du citoyen Majou (7), en date du 4 brumaire an VI (25 octobre 1797) :
« Je ne peux vous donner aucun renseignement sur le citoyen désigné nouveau fondé de pouvoir de la C.enne de Beauharnais, il y a très longtemps que ce Citoyen n’avoit été annoncé par le Citoyen Cubiers (8) et par la Citoyenne de Beauharnais elle-même ; mais je ne l’ai pas vu et sans doute est-il encore en routte. J’ai répondu à cet égard à la Citoyenne de Beauharnais, je n’ai pu lui donner aucunes réponses satisfaisantes, j’attends toujours son fondé de pouvoir. Le citoyen Meunier est dans le même embarras que moi. Il est impossible, dans ce moment, de faire passer des fonds ; le bled, les bestieaux ne se vendent point, à moins de vouloir les donner à très bas prix. Je me propose de récrire au premier jour à la C.enne Beauharnais qui m’a également écrit pour avoir des nouvelles de la terre et de son fondé de pouvoir. » (9)
La « citoyenne de Beauharnais » avait un fils prénommé Claude comme son père. Il était né en 1756 à La Rochelle, avait été capitaine au régiment des gardes françaises sous le règne de Louis XVI. Élu député suppléant de la noblesse aux États généraux le 16 mai 1789, il entra à l’Assemblée nationale constituante le 3 novembre suivant après la démission de Gérard de Lally-Tollendal. Mais il ne pouvait s’agir de sa femme dans la lettre ci-dessus : sa première épouse, Claude-Françoise-Gabrielle-Adrienne de Lezay-Marnésia, était morte en 1791 (10), et son mariage avec la seconde, Suzanne-Élisatbeth-Sophie Fortin, date de 1799.
Claude de Beauharnais fit une belle carrière sous l’Empire : nommé sénateur et membre de la Légion d’honneur en 1804, il reçut le titre de comte d’Empire en 1808. Louis XVIII ajouta de nouvelles distinctions à celles que Napoléon lui avait octroyées en le nommant chevalier de Saint-Louis et en l’élevant à la dignité de Pair de France en 1814.
Sa situation financière n’était cependant guère florissante. Claude de Beauharnais avait hérité des Roches-Baritaud à la mort de sa mère en 1813, mais celle-ci avait laissé une succession criblée de dettes. Lui-même dut vendre son hôtel particulier à Paris en 1815, de même que son château et son domaine de Vendée, cédés le 19 septembre 1817 à Félix-Pierre Marchegay, demeurant à Lousigny, à Saint-Germain-de-Prinçay (11). Claude de Beauharnais mourut à Paris en 1819.
Notes :
- Marie-Josèphe-Rose Tascher de La Pagerie (1763-1814), épouse en premières noces d’Alexandre de Beauharnais (guillotiné le 23 juillet 1794), dont elle eut deux enfants, Eugène et Hortense ; et en secondes noces, de Napoléon Bonaparte.
- Claude de Beauharnais était le frère de François (1714-1800), père d’Alexandre.
- Bernadette Wirtz-Daviau, Les Beauharnais des Roches-Baritaud, Revue du Bas-Poitou, 1937, p. 12. Les Roches-Baritaud appartenaient à la famille de Chateaubriand depuis le XIIIe siècle. Les dettes accumulées par ses derniers représentants précipitèrent la vente du domaine.
- Ils s’étaient mariés à Paris en 1753. Cette union ne fut pas heureuse et les deux époux finirent par se séparer vers 1762 (Erick Noël, Les Beauharnais, une fortune antillaise, 2003, p. 191).
- Elle est connue comme femme de lettres sous le nom de Fanny de Beauharnais.
- Elle fut toutefois arrêtée le 4 novembre 1793 et enfermée à la prison de Sainte-Pélagie (B. Wirtz-Daviau, op. cit., p. 16).
- Jean-Joseph-Daniel Majou des Grois (Saint-Germain-de-Prinçay, 1752 – Chantonnay, 1812), fut sous la Révolution membre du Conseil général de la Vendée (1790), juge de paix (en 1794, il signe un acte de notoriété attestant la mort de Pierre Marchegay à Chantonnay le 15 mars 1793), membre du district de La Châtaigneraie, puis membre du Directoire du Département (8 novembre 1794).
- Michel de Cubières (de Palmeseaux), poète et auteur dramatique, ami de Fanny de Beauharnais dont il fréquentait le salon.
- A.D. 85, L 230. Le fondé de pouvoir de la citoyenne Beauharnais devait être Auguste Bernier, qui signe le 3 germinal an VIII (24 mars 1800) un acte de vente assez volumineux concernant des meubles, effets, bestiaux, etc., des Roches-Baritaud, appartenant à son fils Claude (A.D. 85, 3 E 6 9-2, vues 223 et suiv.). Né en 1770 à Saint-Vincent-Sterlanges, il est dit « régisseur » sur l’acte de son mariage avec Marie Savarit, en 1801, à Saint-Germain-de-Prinçay.
- Pour la petite histoire, le couple eut une fille en 1789, Stéphanie-Louise-Adrienne, que le père délaissa après son remariage. Napoléon en fit sa fille adoptive, qu’il unit en 1806 au prince électoral de Bade. Les pièces relatives à son mariage la désignent en tant que « Stéphanie Napoléon », « fille de France » (Archives nationales, AE/I/11/13).
- B. Wirtz-Daviau,op. cit., p. 36.