J’ai pris mon temps me direz-vous, sachant que j’y fais une brève apparition, mais hier je suis enfin allé voir le fameux Vaincre ou mourir, ce film qui a suscité ces jours-ci une fureur irrépressible parmi les journalistes et les historiens que la seule évocation du nom de « Vendée » fait généralement réagir par un violent tir de barrage. Ajoutez-y, malheureux, les mots de « Puy du Fou » qu’aussitôt déferle pêle-mêle tout le lexique honni : royalistes, cathos intégristes, réactionnaires, contre-révolutionnaires, valeurs chrétiennes, extrême droite, fachos, Zemmour, Donald Trump et l’attaque du Capitole (sic !), et j’en passe… Il ne m’a pas semblé voir Poutine dans le flot d’articles au vitriol lancés contre le film cette semaine. Un oubli peut-être. 

Par chance, le film est assez largement diffusé en Vendée, ce qui est loin d’être le cas partout en France. On peut s’en convaincre en jetant un œil à Twitter où l’on signale que dans plusieurs grandes villes, voire à l’échelle de départements entiers, les projections sont rares, quand elles ne sont pas inexistantes. Étonnant quand on connaît le succès rencontré par l’avant-première le 8 décembre dernier. Sûrement un effet du dénigrement virulent auxquels se sont livrés LibérationLe Monde, et tant d’autres journaux. À les en croire, j’ai commis un acte hautement séditieux en achetant mon ticket d’entrée. Me voilà complice d’une offensive contre la République, rien de moins. La salle est comble, un public familial dont je peine à imaginer qu’il va partir à l’assaut du Palais Bourbon à la fin de la séance. 

La mise en garde médiatique ne semble donc pas avoir suffi à dissuader tous ces gens de venir voir ce film. Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir non seulement frappé d’un anathème de lèse-République, mais aussi sévèrement discrédité sur sa forme : « un nanar… une hallucination… couverte par la voix pachydermique de Charette… une production sans panache… un puits sans fond de nullité… un film si mauvais que même les royalistes détesteront », etc. Décidément, Talleyrand avait vu juste : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Il aurait dit aussi : « Il y a une chose plus terrible que la calomnie, c’est la vérité ». 
   

LRDLV JOUR 10-105Charette (Hugo Becker), Lecouvreur (Damien Jouillerot) et Maupilier (Francis Renaud)
(photo Christine Tamalet sur le site Vaincre ou mourir)
   

Nul ne prétend bien sûr que Vaincre ou mourir restitue l’exacte vérité historique ; si le cinéma pouvait y parvenir, cela se saurait. Comment voudriez-vous redonner vie en seulement 1h40 à trois années de guerre civile, même circonscrites à la seule carrière de Charette, trois années où quasiment chaque jour compte un événement, un combat, un drame ; à la complexité d’un monde déchiré par la Révolution jusqu'au sein des familles ; à une galerie de personnages dont chacun mériterait son long-métrage ? La solution fut d’abord d’envisager un docu-fiction au coût plus limité, le budget s’élevant à 3,5 millions d’euros. Les séquences de reconstitutions historiques, tournées en seulement 18 jours, ont néanmoins convaincu la production de passer à un long-métrage retraçant les trois dernières années de la vie de Charette (1793-1796). 

En dépit de ces contraintes matérielles, croyez-moi si vous le voulez, le résultat est à la hauteur de mes attentes. Au journaliste du Figaro qui se plaint que « c’est violent, sanglant, bruyant, agressif », je conseillerai d’ouvrir les mémoires des contemporains ou, mieux encore, la correspondance des républicains, pour constater que la réalité dépasse de loin la fiction, au risque de faire tomber cet être fragile de son confortable fauteuil parisien, lui qui « soupire à la simple idée du film qu’aurait pu réaliser un Philippe de Broca ». Vous imaginez le même triangle amoureux qu’Aurèle, Céline et Tarquin dans Chouans ! transposé avec Charette, la marquise de Grego et Hoche ? Et en bonus, notre héros s’envolant du haut du donjon de Noirmoutier dans un deltaplane en roseau des marais ? Si, au moins, il y avait la musique de Georges Delerue… 

Non, je préfère qu’on me peigne l’épopée de Charette, même à grands coups de pinceau et avec quelques raccourcis, faute de moyens, comme lorsque Pfeiffer (qui aurait mérité un accent alsacien prononcé, comme Kléber) rallie les insurgés après une scène d’embuscade, très convaincante par ailleurs. En fait c’est tout le détachement du 77e régiment d’infanterie, ci-devant Lamarck, qui a rejoint Charette, mais cela aurait nécessité trop de figurants. Autre raccourci qui m’a frustré, celui de la bataille de Torfou où en réalité les hommes de Charette ne se sont distingués que parce que leurs femmes les ont renvoyés au combat à coups de pied aux fesses. Sans compter l’absence visuelle des armées de d’Elbée, Lescure et de Bonchamps, sans qui l’affrontement se serait soldé par une cuisante défaite. 
   

LRDLV JOUR 8-37Couëtus (Gilles Cohen)
(photo Christine Tamalet sur le site Vaincre ou mourir)
  

Là c’est mon cœur choletais qui parle. Pas l’ombre des généraux de chez moi, pas non plus mon Stofflet, le rival de Charette. Hélas, pour cette partie de l’histoire, il eût fallu décrocher le budget des Dix commandements de Cecil B. DeMille pour rejouer les seules journées des 17 et 18 octobre 1793, de la bataille de Cholet au passage de la Loire, et la Virée de Galerne. Je me fais une raison, trop frustré par l’indigente production cinématographique sur le sujet depuis l’ennuyeux Général du Roi de Nina Companeez (2014). Alors je passe sur les libertés prises avec l’histoire dans l’intérêt du scénario, comme l’arrivée Mme de La Rochefoucauld qui n’a pas attendu Charette pour partir en guerre avec les paysans de La Garnache dès le 13 mars 1793, pas plus que Mme Bulkeley. Je m’abstiendrai aussi de remarques sur les drapeaux, les uniformes ou l’armement, ou sur les décors limités au cadre du logis de la Chabotterie et du Grand Parc du Puy du Fou, et je me plais à imaginer le cachet qu’auraient donné à certaines scènes les authentiques rues pavées de la vielle ville du Mans. 

J’allais oublier la chair du film, les personnages, servis par un magnifique casting à commencer par Hugo Becker dans le rôle de Charette. Tous méritent d’être salués pour leurs prestations. Je vous avoue cependant un coup de cœur pour Jean-Baptiste de Couëtus, « l’un des protagonistes les plus dignes et les plus modérés du théâtre tragique de la Vendée » (Lionel Dumarcet), parfaitement campé par Gilles Cohen, jusqu’à son odieuse exécution. Si seulement l’on avait pu accorder plus de temps à ces personnages secondaires, qui en cachent encore bien d’autres : les demoiselles de Couëtus, Mme Gouin du Fief, Savin, les frères de La Robrie, le vieux Joly ronchonnant contre Charette, etc. Oui, je sais, le budget…

Est-ce donc à cause de tout cela que la plupart des critiques se sont déchaînés contre le film ? Non, les détails historiques leur sont passés largement au-dessus de la tête, à l’instar de la pigiste du Monde qui situe la mort en Charette en 1797. Non, le sacrilège dénoncé à cor et à cri porte un nom : « génocide vendéen ». J’ai eu beau écouter avec attention, je n’ai entendu ces mots à aucun moment pendant la projection. Tout serait sous-entendu : la présence de Reynald Secher, l’un des promoteurs de cette thèse, comme intervenant au tout début du film (rappelons toutefois que Jean-Clément Martin, opposé à l’emploi du mot « génocide » en la circonstance, devait apparaître lui aussi dans le docu-fiction initialement prévu, mais qu’il a souhaité qu’on le retire du format final) ; le prétendu manichéisme du scénario, entre gentils Vendéens et méchants Bleus, alors même que la figure de Travot contredit cette affirmation ; la violence des massacres commis par les Colonnes infernales du général Turreau, pour une fois (!) portée à l’écran ; l’usage des mots République et républicains qui, désignant la répression armée, pourraient inspirer une réprobation à l’égard de la Révolution française, et peut-être même un sentiment royaliste ! 
   

LRDLV Jour 5-17L'adjudant général Travot (Grégory Fitoussi)
(photo Christine Tamalet sur le site Vaincre ou mourir)
   

Car ce qu’on ne vous dit pas, c’est que la famille de Villiers, à la manœuvre dans cette opération, intriguerait pour pousser le public de son Grand Parc, et à présent de son film, dans les bras de l’extrême droite, dixit nos censeurs. Quand on mesure le poids de ladite extrême droite dans le département de la Vendée, voire d’un quelconque parti royaliste, on se dit que cette hypothèse complotiste a du plomb dans l’aile. Alors on mobilise le ban et l’arrière-ban des adversaires du « génocide vendéen », historiens, chroniqueurs de plateau télé et autres youtubeurs, sans contradicteurs bien évidemment, afin de démontrer au bon peuple que tout cela n’est que manipulation de l’histoire à des fins de vile politique, que cette violence est exagérée et qu’il ne faut surtout pas aller voir ce « nanar historique ». 

En est-il un seul parmi eux qui se soit demandé pourquoi tant de Vendéens restent marqués aujourd’hui encore par le souvenir de cette guerre civile et de ces massacres ? Pourquoi tant de gens ont-ils applaudi à la fin du film ? Je doute que ceux qui se sont défoulés avec frénésie contre Vaincre ou mourir rallient ce public à leur opinion en le moquant, en insultant une mémoire sensible qu’il peut encore porter en lui, ou en le discréditant comme ennemi de la démocratie. 

La fréquentation des salles nous révélera si la cabale lancée contre le film lui a nui ou si, au contraire, elle lui a offert une publicité inespérée. À titre personnel, je pencherais pour la seconde option. Et quand bien même elle lui aurait porté un coup, j’ai dans l’idée qu’une future sortie en DVD, naturellement en vente dans les boutiques du Puy du Fou, pourrait atteindre des sommets que nos critiques à courte vue seraient bien en peine d’apercevoir.