Propriétaire du Parc-Soubise, à Mouchamps (Vendée), Françoise de Chabot Darcy s’est mise en quête d’un martyrologe jamais établi, celui des deux cents victimes du massacre qui eut lieu près de son château le 31 janvier 1794.
Le vieux château du Parc-Soubise, incendié le 31 janvier 1794
Ce massacre fut l’œuvre de la colonne infernale commandée par l’adjudant général Lachenay, qui secondait celle du général Grignon. Partie de Pouzauges de grand matin le vendredi 31 janvier 1794, cette armée investit d’abord le bourg du Boupère qu’elle incendia ; de nombreux habitants furent tués lors de cette étape. Elle prit ensuite le chemin de Rochetrejoux, qui subit le même sort, et poursuivit sa route vers Mouchamps. Là un homme intervint auprès de Lachenay, affirmant que cette ville ne comptait que des patriotes. À force de paroles, il lassa l’officier qui se contenta de faire incendier l’église.
La colonne, qui devait se rendre aux Essarts, obliqua cependant en direction du Parc-Soubise. En passant par le Plessis, les soldats raflèrent encore quelques malheureux habitants qui s’ajoutèrent à leurs prisonniers. Ces derniers, au nombre de deux cent, furent rassemblés aux abords du château. Ils virent les Bleus mettre le feu à cette grande bâtisse, avant d’être fusillés sur place (1). Une plaque du Souvenir Vendéen, inaugurée le 11 mai 1958 sur le mur de la chapelle, côté cour, rappelle ce massacre. On y lit l’inscription suivante :
« Dans la cour de ce château, le 31 janvier 1794, 200 personnes ramassées dans les paroisses de St-Paul, Le Boupère, Rochetrejoux, Mouchamps, ont été massacrées et brûlées en haine de la religion. Souvenir Vendéen, 1958. »
La plaque du Souvenir Vendéen sur la chapelle du Parc-Soubise
De ce drame nous est parvenu un témoignage, un seul, recueilli par le comte Auguste de Chabot et publié en 1892 dans son livre Paysans vendéens, biographies, silhouettes et faits d’armes (2). Il est attribué à un nommé Pierre Mérit, âgé de huit ans au moment des faits. Voici le récit qu’il en fit (3) :
« Nous étions, mon frère et moi, à pêcher des verdons sur les bords du Lay, près de St-Paul, quand nous fûmes saisis par les bleus qui nous conduisirent au milieu d’une troupe de femmes, d’enfants et de vieillards. Ces pauvres gens marchaient au milieu d’eux comme des moutons. Je reconnus là beaucoup de parents et d’amis, entre autres une cousine à moi, âgée de 20 ans, qui était grande, forte, et qui avait tout à fait bonne mine.
Arrivés au château du Parc-Soubise, les bleus mirent le feu au château, et pendant que le château brûlait, les bleus nous rangèrent sur deux rangs et tirèrent sur tout le monde à bout portant. Ma cousine fut massacrée près de moi et quand il ne resta plus que deux ou trois enfants qui avaient été manqués, le chef cria « c’est assez », alors j’ai été sauvé. »
Le parcours des colonnes de Grignon et Lachenay, du 19 janvier au 2 février 1794
Ce « Pierre Mérit » se nommait en réalité Jean-Baptiste Méry. Il était né à Saint-Paul-en-Pareds en 1786. Sur son acte de mariage à Mouchamps en 1813, il est dit farinier, et meunier sur son acte de décès à Vendrennes en 1876 (4). Il avait bien un petit frère prénommé Charles, né en 1790, et qui vécut jusqu’en 1884. Sa cousine de vingt ans pose toutefois question. Je n’ai pas trouvé d’enfants qui puissent lui correspondre parmi ceux de ses oncles et tantes. Il est vrai que ce lien de parenté peut dépasser les seuls cousins germains dans le monde rural de l’époque.
D’autres membres de la famille de Jean-Baptiste Méry figurent-ils parmi les victimes du massacre du Parc-Soubise ? Difficile à dire. Peut-être son père, Jean, meunier lui aussi. Sur l’acte de mariage de Jean-Baptiste, on lit en effet que Jean Méry est « décédé pendant les troubles de la guerre civile de la Vendée » (5), sans plus de détails malheureusement. On peut pourtant penser que Jean-Baptiste aurait sûrement évoqué la mort de son père au Parc-Soubise, s’il en avait été témoin.
C’est une tâche ardue que de retrouver les noms des 200 victimes du massacre. Le martyrologe de Mouchamps ne compte que 46 noms identifiés et aucun ne date du 31 janvier 1794. Il va falloir dépouiller les actes de notoriété établis de Mouchamps à Pouzauges, rechercher dans les actes de mariage toute mention de disparition de parents pendant la guerre civile, reconstituer la généalogie de tous ceux qui habitaient sur le parcours de la colonne de Lachenay, afin de retrouver la trace de ceux qui ont pu disparaître en 1794. Cela n’est pas irréaliste quand on mesure le travail de recherche accompli par Philippe Candé pour ressortir de l’oubli les noms de plus de 300 morts imputables à la guerre à Mozé-sur-Louet, quand les historiens n’en mentionnaient qu’environ 70 (6). Espérons qu’il en sera de même pour le Parc-Soubise.
Notes :
- Simone Loidreau, La deuxième Colonne Infernale : Crimes et Châtiments, Revue du Souvenir Vendéen n° 154 (mars-avril 1986), pp. 13-25. On raconte qu'une poignée de Vendéens se vengèrent sur quelques soldats bleus avinés : ils les auraient saisis, emmenés dans le bois derrière le château du Parc-Soubise, et fusillés au pied d'un arbre qu'on appelle depuis lors « le chêne de la République ».
- Réédité par les Éditions du Choletais en 1990.
- D’après une lettre manuscrite du comte de Chabot qui, d’après son style, semble plus authentique que la version publiée.
- Toujours cité sous le nom de « Méry », bien que celui de « Mérit » finît par s’imposer.
- NMD de Mouchamps 1812-1816, vue 76/374.
- Philippe Candé, La Guerre de Vendée en pays angevin, une mémoire interdite, C.V.R.H., octobre 2022.